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Quel rapport y a-t-il entre la fête de Pâques pour les chrétiens et la Pâque juive ?

Dimanche 31 mars, les chrétiens ont fêté Pâques. Le 22 avril, ce sera au tour des juifs d’entamer les célébrations de Pessah, la Pâque juive. Quels liens existe-t-il entre ces deux fêtes? Entretien croisé.

Nathan Alfred est le nouveau rabbin de la Communauté juive libérale de Genève. Marie Cénec est pasteure réformée, coordinatrice du Service Terre Nouvelle et de la Plateforme «Enjeux spirituels de la Transition écologique et sociale» au sein de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV). Ils ne se connaissaient pas, mais ont accepté de se réunir dans les locaux du Musée international de la Réforme, à Genève, où sont actuellement exposées des gravures de Rembrandt, représentant notamment des scènes de l’Ancien Testament que leurs traditions ont en commun. Rencontre.

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Quelle est la première image qui vous vient à l’esprit à l’évocation de Pâques ou de Pessah?

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M.C. Une grande lumière et le cantique A toi la gloire. Ce chant est très confessant, puisqu’il fait référence à la résurrection du Christ, à chaque fois que je l’entonne, je sens un élan de vitalité qui me transporte.

N.A. Pour moi, c’est le séder de ma jeunesse. C’est-à-dire le repas que l’on mange à Pessah, un moment très fort dans l’année que l’on partage avec toute la famille et les invités.

Et vous, quel souvenir d’enfant de votre côté? 

M.C. Mes parents n’étaient pas pratiquants, mais Pâques était comme un deuxième Noël. J’ai le souvenir que dans ma tendre enfance ils me préparaient un nid en paille que je trouvais énorme et dans lequel je trouvais chaque année des chocolats et une peluche. En fait, ils m’avaient inventé un rite à leur manière qui égayait mon printemps.

Que commémorent les juifs, ce jour-là?

N.A. Lors de ce repas, nous lisons le récit de la sortie d’Egypte, la Hagada. Les enfants d’Israël étaient esclaves sous la domination du pharaon et, grâce à Dieu et assistés par Moïse, ils ont fui jusqu’au désert. Ils y sont restés pendant quarante ans avant d’atteindre la terre promise – soit la terre sainte appelée Canaan ou aujourd’hui Israël.

Que signifie la fête de Pâques pour les chrétiens?

M.C. C’est l’histoire de la résurrection de Jésus, c’est-à-dire d’un relèvement, d’un éveil au-delà de la mort. C’est le récit du tombeau ouvert, qui constitue la grande espérance des chrétiens. Si Noël a pris énormément de place dans notre culture, Pâques reste la fête chrétienne principale, avec ce récit assez incroyable d’un homme qui aurait traversé la mort.

En quoi ces fêtes sont-elles encore d’actualité à vos yeux?

N.A. Le récit de Pessah dit que «nous étions esclaves et maintenant nous sommes libres». Si celui-ci fait référence à un événement historique, nous sommes appelés à nous l’approprier. Cette année, on pense évidemment aux otages du Hamas. On espère leur libération et la fin de la guerre à Gaza et en Israël en général. Pessah peut sans cesse être réactualisé, chaque génération ayant ses propres oppressions. Dans les années 1970-1980, il était beaucoup question des refuzniks, ces juifs d’Union soviétique qui n’avaient pas le droit d’émigrer. Mais le message peut aussi s’élargir au racisme ou à la crise climatique.

M.C. Pâques nous invite à nous saisir de la question du mal, de la mort et de la souffrance pour essayer d’en faire quelque chose. Est-ce qu’on s’arrête là? Ou est-ce qu’on croit qu’il y a quelque chose au-delà, une transformation possible? Si je lis Pâques à travers Pessah, je dirais qu’il s’agit aussi de la sortie de nos esclavages et notamment celui du péché, qui peut être compris comme tout ce qui entrave et oppresse l’être humain.

La Pâque juive a-t-elle également un sens pour les chrétiens?

M.C. En tant que chrétiens, notre origine est en grande partie dans le judaïsme. La fête chrétienne s’articule à la fête juive. En effet, les Evangiles racontent que c’est pendant la période de la Pâque à Jérusalem que Jésus va être arrêté et mourir. Son dernier repas est souvent comparé au séder.

Comment fêtez-vous ce temps?

N.A. Pessah dure sept jours et est très ritualisée. La tradition veut par exemple que le plus jeune pose les quatre questions du séder: pourquoi cette nuit est-elle différente des autres? Pourquoi mange-t-on cela? etc. C’est une nuit de questionnement et d’introspection sur notre histoire commune.

M.C. Relevons que ces deux fêtes se déroulent sur une semaine, car chez les chrétiens nous parlons de la Semaine sainte. On est clairement dans le registre d’un processus initiatique. Qu’il s’agisse de la sortie d’Egypte ou de la traversée de la mort par le Christ, ces épisodes nous renvoient à ces rites de passage personnels et collectifs où quelque chose se dénoue en l’être. Où, dans ce cheminement, il va soudain être rejoint par son Dieu et recevoir les forces pour effectuer cette traversée.

 En quoi, la période de carême prépare-t-elle à Pâques?

M.C. Le jeûne alimentaire a toujours permis de laisser plus de place à l’essentiel. Mais le jeûne peut se vivre différentes manières. Par exemple, le programme Détox’ la terre propose un jeûne non seulement alimentaire, mais aussi en lien avec sa consommation ou rapport au numérique.  Nos sociétés sont tellement addictogènes qu’on ne perçoit parfois même plus nos esclavages quotidiens.

N.A. Dans le même esprit, nous avons mis en place la campagne «Facebook is hametz».. Ainsi, de la même manière qu’il est interdit de consommer du levain pendant Pessah, il est conseillé de se priver de réseaux sociaux.

Retrouve-t-on également ce temps de préparation en amont de Pessah?

N.A. Oui, il faut travailler comme un fou pour tout préparer! Pessah nécessite un gros nettoyage de printemps, parce qu’il faut tout nettoyer: laver la cuisine, changer les assiettes, les marmites et les poêles. Il est en effet interdit d’utiliser des ustensiles qui ont été en contact avec du levain.

M.C. Ce que j’aime bien dans ce nettoyage de printemps ou cette détox, c’est que c’est à chacun de se mettre en route et de faire son nettoyage de printemps personnel. Or, c’est précisément en faisant le tri, en s’allégeant de tout ce qui n’a peut-être plus lieu d’être, que l’on créée de l’espace pour que quelque chose de nouveau puisse advenir.

Pessah est-il également marqué par cette notion de nouveau départ?

N.A. Pessah marque la formation du peuple juif et a d’ailleurs toujours lieu au printemps, en mars ou avril, comme Pâques. La raison en est que nous suivons le calendrier luni-solaire, contrairement aux musulmans qui utilisent un calendrier lunaire, qui décale chaque année le Ramadan.

Vos jeunesses respectives connaissent-elles encore le sens de ces fêtes?

N.A. Je pense que oui, car il n’y a pas de séder sans lecture de la Hagada de Pessah. On raconte cette histoire avec des poésies, des chansons et des prières. Je pense que le dispositif, avec le principe de ces quatre questions, est très pédagogique. Mon fils de 5 ans ne va pas tout comprendre du sens profond de Pessah, mais il connaît l’histoire de Moïse et du pharaon. Il comprend à son niveau. Je pense que c’est le rôle des parents d’enseigner leurs enfants sur ces choses.

M.C Chez nous, tout dépend des familles.  Dans certaines, qui ont une pratique vivante de leur spiritualité chrétienne, aller au culte est d’une grande importance, on peut aussi lire la Bible en famille. Dans d’autres, on peut manger les œufs et le repas pascal sans forcément évoquer la mort du Christ et sa résurrection. En Alsace, d’où je viens, il y a le Lamala, un gâteau de Pâques en forme de petit agneau. J’ai quand même l’espoir que, lorsqu’il arrive sur la table, les grands-mères ou d’autres adultes expliquent aux enfants pourquoi il a cette forme! (dans la BIble, Jésus est appelé «agneau de Dieu», en référence à son sacrifice, ndlr.)

De manière plus générale, quel regard portez-vous sur la manière dont ces fêtes sont célébrées aujourd’hui?

M.C Les rituels évoluent dans une société qui se laïcise, mais tant que demeure la fête, il subsiste une brèche qui s’ouvre un peu sur le sens de Pâques. D’ailleurs, même les Églises revisitent les traditions populaires et organisent aujourd’hui des chasses aux œufs. Symbole de fécondité comme du cycle de la nature, les œufs viennent donc aussi dire quelque chose d’une aube nouvelle, d’une renaissance.

N.A. Pessah est un des moments les plus juifs de l’année. Si on a des grands-parents vivants, c’est juste impossible de rater un séder! En tant que juifs, nous avons cette obligation de célébrer Pessah, en communion avec les autres juifs, même si on est athées. Il faut transmettre notre histoire. Que vous croyiez ou non, à mon avis, ce n’est pas important pour Dieu. Ce sont les actions qui comptent.

Quel est le poids des traditions dans vos religions respectives?

Les rituels, c’est central dans le judaïsme. Mais nous nous laissons aussi inspirer par la culture environnante: si nous n’avons pas d’œufs ni lapins en chocolat, nous avons des matza (pain azyme) au chocolat. Cette année, on a le projet d’organiser, pour la première fois, une chasse aux matzas au Salève.

M.C. Chez les chrétiens, et qui plus est chez les protestants, les coutumes sont beaucoup moins prégnantes. Le protestantisme est plus individuel et plus intellectuel. On a moins un moule de traditions dans lequel on va se glisser. On remarque cependant un certain retour à la pratique du jeûne, mais aussi des marches de Pâques, dont notamment celles qui se déroulent de la tombée du crépuscule à l’aube naissante.

Nous nous retrouvons au MIR, où sont exposées des gravures de Rembrandt inspirées de l’Ancien Testament. Quel impact ce texte commun à vos deux religions a-t-il sur vos relations? 

N.A.  Le fait que nous partagions les mêmes histoires fondatrices nous aide à la compréhension mutuelle. Entre le christianisme, le judaïsme et l’islam, nous sommes tous descendants d’Abraham. A la Mimouna, fête qui marque la fin de Pessah, ce sont d’ailleurs souvent les voisins musulmans qui apportent les gâteaux et le pain qu’on n’a pas le droit de cuisiner pendant sept jours.

Dans le contexte actuel, y a-t-il un message spécifique à retenir de Pâques et de Pessah?

N.A.  Même si on traverse un moment difficile au niveau de de la situation en Israël et aussi de la montée de l’antisémitisme qui inquiète un peu partout, on reste dans l’espoir que cela ira mieux demain. Et on s’attelle à travailler pour un jour meilleur. Le quotidien peut nous atteindre, mais on n’a pas le droit d’être déprimé.

M.C. Pour moi Pâques, c’est vraiment l’aube après la traversée de la nuit. Dans tous les conflits qui ont lieu aujourd’hui et dans la guerre qu’on fait à la planète, on affirme que l’on veut continuer à croire que l’humanité est capable d’être en paix et guérie intérieurement. En tant que responsables religieux, je crois que nous avons vraiment une responsabilité de résistance à la désespérance et au «tout est fichu !», nous sommes là pour dire : «Mais non, peut-être pas.»

Questionnaire de Proust

 

Le métier que vous auriez aimé exercé dans une autre vie?

M.C. Chirurgienne.

N.A.  Un haltérophile. Mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps sain)

 

Votre passe-temps secret?

M.C. J’ai trop peu d’heures perdues pour en avoir un !

N.A.  J’aime bien regarder des « battle-rap»:  c’est du bon matériel pour mes discours à la synagogue!

 

Une personne que vous admirez?

M.C. En général, les chercheurs et les audacieux.

N.A.  Albert Memmi, un écrivain juif tunisien qui avait compris beaucoup de choses.

 

Ce détail qui vous met hors de vous?

M.C. La coquille dans un texte relu à plusieurs.

N.A.  Ceux qui sont convaincus que seule leur voie est la bonne.

 

Quelle est votre devise?

M.C. Selon les jours: «Ne crains pas, crois seulement…» ou «Va avec la force que tu as!»

N.A.  L’homme planifie et Dieu rit. (En Yiddish: der Mensch tracht un Gott lacht…)

Marie Cénec

1975  Naissance à Strasbourg en Alsace.

1996 Arrivée à Genève afin d’étudier à la Faculté de théologie.

2009  Prend la tête de l’Espace Fusterie, avec le pasteur Blaise Menu.

2013  Publie un recueil de méditations, «C’est tous les jours dimanche» (Ed. Salavator)

2020 Témoigne de son parcours spirituel dans «L’insolence de la parole» (Ed. Bayard)

2022  Devient coordinatrice de la Plateforme «Enjeux spirituels de la Transition écologique et sociale» ainsi que du Service Terre Nouvelle et de la Plateforme «Enjeux spirituels de la Transition écologique et sociale» au sein de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV).

Nathan Alfred

1980 Naissance à Coventry, près de Birmingham

1998-2001 Etudie les Lettres classiques à Cambridge

2002 Part une année en Hongrie pour faire des échecs.

2003 Entame des études rabbiniques à Londres

2008 Devient rabbin et exerce à Bruxelles, au Luxembourg, à Singapour ou encore New York

2012 Devient membre fondateur de KEREM, Conseil des rabbins libéraux francophones, dont il sera le vice-président de 2012 à 2015.

2024 Devient le rabbin de la Communauté juive libérale de Genève. Est élu également président de l’Assemblée rabbinique Européen (ERA).

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